15 mars 2013, ou la liberté – Nina

15 mars 2013, ou la liberté – Nina

Le vent me souffle aux oreilles, la voiture ne roule plus mais vole, et Louis m’amène loin, le plus loin possible il a dit. Je passe de poings pointus à des bras qui enlacent avec le respect et la sérénité d’un frère.

Je ne sais pas où l’on va, on ne laisse juste aucune trace. J’ai 50€ en argent liquide et Louis complète avec sa carte bancaire personnelle.

Depuis longtemps, respirer n’est plus douloureux, il y a des fleurs violettes sur le bord de la route. « Ma » musique à la radio. Que Louis télécharge pour la passer autant de fois que je souhaite sur le trajet.

Je trace un trait dans ma tête sur un M, le I, le terrifiant G, le U toujours méfiant, le E qui crie, un L lugubre.

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15 mars 2013 – Nina

15 mars 2013 – Nina

Un pied sur une chaise, un pied par la fenêtre, je cherche mon équilibre pour ne pas retomber vers l’intérieur.

La grande évasion, c’est aujourd’hui.

Un jour, il était venu un autre homme. Par hasard. On avait partagé un accoudoir dans un train. Ça l’avait mis en rage bien sûr, Miguel, quand il avait vu sa manche toucher mon manteau.

On s’était levés, on avait changé de wagon.

Mais il m’avait retrouvé. Touché par mon regard avait-il dit. Que pouvait-il faire avait- il dit.

A l’époque, la question ne se posait pas. La réponse était toute prête. Claire et cristalline.

« Tout va bien, c’est gentil ». Sourire. Crispé.

Il avait insisté, demandé mon numéro, si j’avais besoin de parler.

« Je suis une femme mariée » lui ont répondu mes talons.

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Elle ne sait plus le jour – Nina

Elle ne sait plus le jour – Nina

L’odeur du tissu qui a passé quelques mois dans un placard sans lumière. C’est le noir. Comme si c’était la nuit ou le néant. Si je ne reprends pas un petit peu d’air, ça sera bientôt la fin.

Comme les enfants qui jouent au jeu du foulard, comme les adolescents qui se bécotent dans une remise, je suis assise là, derrière un manteau. Collée au fond: si j’arrête de bouger, me trouvera t-il ?

On ne joue pas à cache-cache. Enfin, je me cache mais lui ne joue pas.

J’ai lu que si on lui laissait un peu de temps, il trouverait un autre exutoire et je sortirai tranquillement de ma cachette.

En fait, ça n’a jamais vraiment marché. Mais j’ai lu que passé 35 ans, les hommes s’adoucissaient.

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12 Novembre 2015 – Nina

12 Novembre 2015 – Nina

Ce soir, ce sont nos 6 ans de mariage. 9 ans de relation. On dit que l’amour meurt à 3 ans. Moi, il m’a épousé.

Nos anniversaires se déroulent toujours de la même façon: une fois par an nous allons manger au Barranzo, un restaurant italien. Il me tire la chaise. Je le sens, derrière moi. Je tremble quand il rapproche le fauteuil. Ses gestes sont doux. L’endroit est plein.

Il commande un plat pour deux. Des poivrons.

Seule, je ne mangerais que des aliments violets: les aubergines, les fruits de la passion, des raisins, des prunes, des figues. Mon assiette tous les soirs est bien organisée. C’est Miguel qui cuisine. Du vert, du beige, du rouge. Les doses sont calées au gramme.

Alors, quand il dort, après 23h, et que je me glisse hors du lit, trottine jusqu’au garage, ouvre le placard, prends la boîte en plastique bleu, alors, là, je me gave de baies.

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Dimanche 17 Janvier – Nina

Dimanche 17 Janvier – Nina

Mon corps est une toile, une œuvre de maître dont personne ne peut se délecter sauf peut être l’artiste lui-même quand il me déshabille. Du pointillisme. Du poingtillisme plutôt.

La douche est assez douloureuse, alors je ne frotte plus. Je laisse l’eau couler sur ma peau jaune, noire, violette, bleue, beige, rouge, jaune, noire… J’ai remis de la musique mais tout doucement. Il ne supporte pas ce chanteur. Je n’ai pris aucun risque, j’ai fermé la porte à clés.

Enveloppée de chaleur, puis de ma serviette, les cheveux humides, la glace me renvoie l’image d’une femme papier. Friable, pliable, sur laquelle tout reste à écrire. Ou effacer ?

Je n’ai plus d’héroïnes. Je sais qu’elles n’existent pas. Enfant, je rêvais d’être cavalière. Championne de saut d’obstacles. Papa les regardait à la télé. Elles dirigeaient cet animal, puissant et formidablement beau. Elles en prenaient soin.

On croit que les femmes dans mon genre ont eu une enfance difficile. Qu’elles reproduisent. Qu’elles ne voient pas la faille.

J’ai eu une enfance bénie. Je voulais partager mon bonheur. Moi je voulais juste sauver quelqu’un.

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Samedi 16 Janvier – Nina

Samedi 16 Janvier – Nina

A 8h00 le réveil sonne et nous nous levons.

L’un va chercher le pain, l’autre met l’eau à chauffer. L’un utilise la salle de bain, l’autre se recoiffe devant le miroir de l’entrée.

Il y en a eu des moments de joie, à deux. A chaque fois, cassés par sa férocité. Sa main s’abat sur mon bras. Il s’est brûlé avec le thé.

« Salope, tu fais exprès que je me crame ».

J’aimerais lui répondre que oui. Je veux tellement brûler sa langue qu’elle se disloque. Qu’aucun mot ne puisse à jamais plus sortir de sa bouche. Que le feu gagne son gosier. Qu’il s’envole jusqu’à l’hémisphère gauche, qu’il détruise tous les neurones. Que la fumée vienne jaunir ses yeux. Que ses cheveux fondent sous le feu vif.

Mais ce n’est pas intentionnel. L’eau est tiède.

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Vendredi 15 Janvier 2016 – Nina

Vendredi 15 Janvier 2016 – Nina

Je suis trop bête, de pleurer pour des bêtises. Il me reparle, je dirais que c’est un mieux. Combien de femmes vivent des situations beaucoup plus difficiles que la mienne ? Il est parfois indélicat. Il est malheureux.

Mon mari, j’ai toujours été très fière de le présenter. Son charisme, en quelques sortes, rejaillissait sur moi. Plus forte, j’ouvrais les yeux sur le monde qui m’entourait et arrêtais de me recroqueviller. J’étais devenue une femme.

Une femme qui tarde à concevoir. Mon corps refuse de créer la vie.

En toute franchise, je ne sais pas si le soucis vient de moi. Après quelques discussions, auxquelles je n’ai quasi pas pris part, Miguel a dit que j’étais infertile. Il doit avoir raison.

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Mercredi 13 Janvier 2016 – Nina

Mercredi 13 Janvier 2016 – Nina

Ce matin, il a reparlé. A moi. Directement. Il m’a parlé du linge. Et de moi. Ma capacité à m’en occuper. Enfin. Mon incapacité.

Et puis, il a ouvert la porte fenêtre, il est sorti. Et la porte a claqué. Le vent. Ou son bras, je ne sais plus.

J’ai foncé dans la chambre où se trouve notre panier à linge sale. J’ai commencé à tout trier. Trois tas. Le foncé, le blanc, les couleurs. Et puis j’ai re-séparé le linge de maison qui se lave à 90°. J’ai entendu le moteur se mettre en route. Près de mon oreille, une tronçonneuse aurait bourdonné que ça aurait été la même chose.

Je tremble mais je ne peux pas m’arrêter. Il a raison, je dois faire mieux. Mieux faire. Je tire sur mon haut manche trois quart. J’ai très froid.

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Mardi 12 Janvier 2016 – Nina

Mardi 12 Janvier 2016 – Nina

Il a recommencé à m’ignorer. Je ne sais pas si c’est une bonne chose. Ne plus exister c’est plutôt doux et reposant. Mais je suis angoissée: menace sourde du boomerang qui ne saurait tarder à faire demi tour, agrippant dans le vent de la force.

Dans la cuisine, le café fumant m’empêche de voir son visage. Rien ne saurait venir briser nos solitudes. Je tente le tout pour le tout et fredonne. Une chanson douce. Je ne connais même pas les paroles. Il allume la radio.

Des morts, toujours des morts. J’essaye d’être triste pour eux mais j’en suis incapable. Je suis mélancolique des premières soirées, des rires, des jeux. Je n’ai pas de place en moi pour le présent car le passé est omniprésent.

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